Février 2021
Coup de cœur N° 107 De la variole au Covid 19
Le 8 mai 1980, la Trente-Troisième
Assemblée mondiale de la Santé a officiellement déclaré :
« Tous les peuples du monde sont désormais libérés de la
variole ».
Cette déclaration
marquait la fin d’une maladie qui avait dévasté l’humanité
pendant au moins 3000 ans, faisant 300 millions de morts rien qu’au
XXe siècle.
La maladie a été
éradiquée au terme d’une opération de 10 ans menée par
l’Organisation mondiale de la Santé et à laquelle ont participé
des milliers d’agents de santé dans le monde pour administrer un
demi-milliard de doses de vaccin antivariolique.
Depuis 1980,
l’investissement de 300 millions de dollars consenti pour éradiquer
la variole permet d’économiser chaque année bien plus de 1
milliard de dollars à l’échelle mondiale.
S’exprimant
lors d’une manifestation virtuelle organisée au Siège de l’OMS,
à laquelle ont participé de grands acteurs de l’effort
d’éradication, le Directeur général de l’OMS, le Dr
Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré : « Au moment où
le monde affronte la pandémie de COVID-19, la victoire de l’humanité
sur la variole nous rappelle ce qu’il est possible d’accomplir
quand les nations s’unissent pour combattre une menace sanitaire
commune. »
« Les
pays du monde se sont libérés de la variole en faisant preuve d’une
incroyable solidarité et grâce à un vaccin sûr et efficace. La
solidarité alliée la science ont apporté la solution. »
Un
article paru en novembre 2020 dans « National Géographic »
mérite attention. Quelques extraits ci dessous :
« « Depuis
des millénaires, l'humanité craint la variole, l'une des maladies
les plus dangereuses au monde avec un taux de mortalité supérieur à
30 %. L'un des premiers cas documentés
de variole était celui d'une momie égyptienne du 3e siècle
avant notre ère. Les civilisations asiatiques, africaines et
européennes regorgent toutes de témoignages historiques vieux de
plusieurs siècles au sujet des malades de la variole. Les
descriptions de forte fièvre, de douleurs et des pustules recouvrant
l'ensemble du corps foisonnent dans la littérature médicale. Les
survivants étaient bien souvent défigurés par la cicatrisation des
pustules et lorsque ces derniers se formaient à proximité des yeux,
ils entraînaient parfois une cécité.
Les
médecins de l'époque avaient mis au point différentes stratégies
pour traiter la maladie, mais la véritable révolution médicale
arriva à la fin du 18e siècle, lorsqu'un médecin
de campagne anglais, Edward Jenner, créa le vaccin contre
la variole grâce à ses observations scientifiques et un remède
arrivé en Angleterre depuis la Turquie.
En 1716,
Lady Mary Wortley Montagu
débarque sur le sol turc en compagnie de son mari Lord Montagu, le
nouvel ambassadeur de Grande-Bretagne en Turquie. Lady Montagu porte
encore les cicatrices laissées par un combat contre la variole mené
deux ans plus tôt. Elle apprend la langue locale et se lie d'amitié
avec les femmes turques, grâce auxquelles elle fait une
extraordinaire découverte : ses nouvelles amies utiliseraient
le pus des variolés pour s'infecter volontairement, elles et leurs
enfants. Par la suite, après avoir développé une forme modérée
de la maladie, elles seraient immunisées contre ses effets mortels.
Cette stratégie
fait forte impression sur Lady Montagu. Femme indépendante et
autodidacte en grec, latin et français, elle avait également choisi
de faire un mariage d'amour en épousant Sir Edward contre la volonté
de son père. Sans hésitation, Lady Montagu inocula ses propres
enfants, en déclarant : « Je suis suffisamment patriote
pour prendre le risque d'apporter cette invention salutaire en
Angleterre. »
En réalité, ce
genre de méthodes était déjà utilisé en Europe, mais la grande
contribution de Lady Montagu est d'avoir diffusé la technique,
baptisée variolisation, et de l'avoir fermement défendue contre
l'hostilité viscérale manifestée par quelques médecins et même
certains prêtres. Grâce à sa campagne, plusieurs personnalités de
haut rang se sont elles-mêmes inoculées en suivant la méthode
turque, notamment les rois du Danemark et de la Suède ainsi que
l'impératrice Catherine II de Russie.
Cependant, la
variolisation n'était pas sans imperfection : entre 1 et
3 % des personnes inoculées tombaient malades et mouraient. Ce
taux de mortalité explique pourquoi la procédure n'est jamais
devenue une pratique à part entière. Après avoir consacré tant
d'années et d'énergie à la lutte contre la variole, Lady Montagu
décède des suites d'un cancer en 1762.
Le docteur Edward
Jenner est né en 1749 d'un père vicaire de campagne, à Berkeley,
dans le Gloucestershire en Angleterre. À l'âge de cinq ans, il
perdit sa mère, morte en couches, puis son père deux mois plus
tard. Le jeune Edward partit alors vivre avec son frère. Plus tard,
il devint apprenti auprès d'un chirurgien dans un hôpital où il
étudia et pratiqua la médecine. En tant que membre de l'association
médicale locale, il publia des études détaillées sur une variété
de troubles médicaux. Il s'intéressa dans ses écrits à d'autres
sujets tels que l'ornithologie ou les aérostats. En 1789, il
rejoignit l'élite académique britannique après avoir été
membre de la
Royal Society
pour ses recherches sur les coucous.
Dans les années
1790, loin des oiseaux et des ballons, Jenner consacra son temps à
la recherche d'un traitement pour protéger l'humanité de la maladie
qui tue près de 80 000 Britanniques par an. Il était
convaincu de la nécessité d'une méthode plus efficace que la
variolisation et moins risquée pour les patients. Des scientifiques
avaient déjà suggéré que la vaccine,
une forme modérée de la variole qui affecte le bétail, pourrait
offrir une solution. Médecin en zone rurale, Jenner se trouvait dans
une position idéale pour mener des recherches sur cette maladie et
ses effets sur les ouvriers agricoles. Il remarqua alors que les
laitières avaient tendance à contracter la variole de la vache
après être entrées en contact avec les pustules qui recouvraient
les pis de l'animal. Durant les épidémies de variole humaine, il
arrivait que les familles des laitières tombent malades, mais les
laitières qui avaient elles-mêmes déjà contracté la variole de
la vache étaient épargnées.
Le 14 mai 1796,
Jenner franchit le pas qui changera à jamais la science médicale.
Il décida d'extraire du pus de l'une des plaies d'une femme
infectée par la vaccine et l'utilise pour inoculer un jeune garçon,
le fils de son jardinier. Une semaine plus tard, l'enfant tomba
malade. Pendant quelques jours, la tension fut immense et Jenner
suivit l'évolution de son jeune patient, jusqu'à sa guérison. Six
semaines plus tard, il l'exposa au virus de la variole mais l'enfant
ne montra aucun symptôme de la redoutable maladie. Par la suite,
Jenner réitéra son expérience sur 22 patients. Là encore,
aucun des sujets inoculés à la vaccine ne montra les signes d'une
forme sévère de la maladie. C'était la preuve que Jenner attendait
pour confirmer l'efficacité de sa méthode, déjà baptisée
vaccination.
Bien que le
succès de Jenner ait reçu un accueil globalement chaleureux, il
s'est tout de même attiré de vives critiques sur les plans
scientifiques et idéologiques. L'opposition est notamment venue
d'une alliance entre le clergé et certains philosophes parmi
lesquels Emmanuel Kant.
Pour ne rien
arranger à la situation, il arrivait que des praticiens peu
expérimentés reproduisent la procédure de Jenner sans réellement
la comprendre, ce qui contribua à propager la maladie au lieu
de la contenir. L'une des précautions les plus importantes stipulées
par Jenner était que les prélèvements devaient être réalisés
sur les pustules de vaccine au plus tôt 7 jours après leur
apparition, le temps pour la maladie de se faire moins virulente.
Même si Jenner ne vivra pas assez longtemps pour le découvrir, cet
accent mis sur l'affaiblissement de la souche de vaccine se révélera
plus tard être un élément essentiel du combat contre d'autres
maladies. En l'absence de forme animale relativement bénigne d'une
maladie, un vaccin peut désormais être mis au point à l'aide de
micro-organismes affaiblis directement liés à la maladie en
question.
Correctement
appliquées, les méthodes de Jenner furent couronnées de succès et
s'établirent progressivement à travers toute l'Europe. En 1803
naissait en Grande-Bretagne la Royal Jennerian Society dont le
dessein était d'offrir la vaccination à tous les volontaires. En
1805, Napoléon Bonaparte ordonna la vaccination de son entière
armée. Le Gouvernement espagnol lança une mission philanthropique
étalée sur trois ans pour diffuser la vaccination à l'ensemble de
l'Empire espagnol, notamment aux Amériques, aux Philippines, à
Macao et en Chine. « Je n'imagine pas les annales de l'histoire
offrir un jour un exemple de philanthropie aussi noble et étendu que
celui-ci, » écrivait Jenner à propos de cette expédition
remarquable. En 1840, le gouvernement britannique promulgua une série
de lois visant à vacciner gratuitement l'ensemble de sa population.
Le combat contre
la variole s'est poursuivi durant le siècle suivant et le vaccin mis
au point par Edward Jenner a contribué à éradiquer la maladie,
dont le dernier cas connu remonte à 1978.
Edward Jenner
reçut de nombreux titres et honneurs pour sa découverte. Le
Parlement britannique lui versa une récompense de 10 000 livres
sterling, une coquette somme pour l'époque, plus tard rehaussée de
20 000 livres sterling. Pourtant, malgré la gloire
dont il était auréolé, Jenner sut rester un homme aux habitudes
relativement modestes. Il regagna son village de Berkeley, où il
continua d'exercer la médecine. Le 25 janvier 1823, il fit
une attaque cérébrale dans son sommeil et fut retrouvé mort le
lendemain matin, à l'âge de 73 ans.
Les
recherches de Jenner lui ont survécu dans les travaux de
scientifiques comme Louis Pasteur et Robert Koch, qui se sont
intéressés aux modes de transmission des maladies entre individus.
Leurs découvertes ont ouvert la voie à la « théorie
microbienne », qui attribue la cause des maladies aux
micro-organismes. En s'appuyant sur ces fondations, d'autres vaccins
ont pu être développés au fil des décennies pour mettre un terme
au fléau de maladies contagieuses qui ont tourmenté l'humanité
comme la rage, la poliomyélite ou la rougeole. » »
En
ces temps perturbés, espérons que l'esprit des Jenner, Pasteur ou
Koch perdure.
Roland
Bérenguier
Pierrevert
– février 2021
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