SEPTEMBRE 2024
Coup de cœur N° 146
Un marathon de 54
ans, 8 mois et 6 jours !
Eté
2024, la France a vécu au rythme des jeux olympiques et paralympiques, avec ses
records de spectateurs, de médailles, d'audience. Chacun a apprécié les
performances des athlètes et les émotions d'un spectacle sportif mondial.
Mais les jeux olympiques ont toujours été
sources de records, d'anecdotes et d'histoires qui font la légende du sport.
Voici une histoire quelque peu
insolite ou extraordinaire ou singulière :
- Cela commence aux Jeux Olympiques de
Stockholm le 14 juillet 1912 :
Un coureur, Shizō Kanakuri, est engagé
sur le marathon olympique. Ce Japonais de 20 ans ne se doute pas qu'il va
rentrer dans la légende.
Cette histoire ubuesque est relatée
par le journaliste Théo Gripon Auer, et parue dans le site
« Slate » :
---- « Du chemin, ce coureur
japonais en a parcouru. Quelques mois plus tôt, en remportant brillamment les
sélections du marathon, Shizō Kanakuri a obtenu le privilège de représenter son
pays sur cette ligne de départ. C'était l'étape la plus facile pour cet athlète
habitué depuis son plus jeune âge à courir chaque jour pour se rendre à
l'école. Étudiant à l'École normale supérieure de Tokyo, sans le
moindre sou en poche, l'athlète doit désormais financer son voyage jusqu'en
Suède.
Au mois de mai, une fois l'argent
récolté grâce à une cagnotte et ses bagages faits, Shizō Kanakuri entame son long
périple vers Stockholm. Son entraîneur et lui traversent la mer du Japon en
bateau, voyagent en Russie à bord du Transsibérien puis voguent sur la mer
Baltique en direction de la capitale suédoise. Kanakuri arrive sur place début
juin, un mois avant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques.
Éprouvé par le voyage, victime de
troubles gastriques causés par une alimentation nouvelle et bien différente de
la cuisine japonaise, ces dernières semaines de préparation sont loin d'être
optimales. Son entraîneur tombe également malade et ne peut assurer les
entraînements. Qu'importe. Le 14 juillet 1912, Shizō Kanakuri foule la piste du
stade olympique de Stockholm, prêt à se frotter à la quarantaine de kilomètres
du marathon des Jeux.
Des conditions éprouvantes menant au
drame :
Tous n'ont pas eu ce même courage. Un
tiers des quatre-vingt-quinze coureurs engagés ne se présentent pas, la canicule ayant eu
raison de leur motivation. Le départ, donné en début d'après-midi sous un
soleil de plomb, les a « refroidis » ! Renoncer est sans doute
plus sage.
Tout au long du parcours, les coureurs
tombent comme des mouches. Derrière le peloton, le cortège d'ambulances et de
médecins ramasse à la pelle des athlètes déshydratés. L'un d'entre eux ne se
relèvera jamais. Porte-drapeau de la délégation portugaise, Francisco
Lazaro est retrouvé à l'agonie au passage du trentième
kilomètre puis emmené en urgence à l'hôpital le plus proche.
De l'avis des médecins, ce
sportif amateur, charpentier de profession, a été victime d'une méningite
provoquée par la chaleur. Le lendemain matin, sa mort est annoncée. Francisco
Lazaro devient officiellement le premier athlète à mourir aux Jeux olympiques.
Porté disparu :
Au bout de l'effort, le Sud-Africain Ken McArthur
coupe la ligne d'arrivée en premier après 2 heures et 36
minutes de course, signant un nouveau record olympique. Il devance son
coéquipier Christian Gitsham. Des soixante-huit coureurs engagés sur la ligne
de départ, trente-cinq
terminent l'épreuve.
Trente-deux abandons ont été recensés et un coureur manque à l’appel : Shizō
Kanakuri.
Malgré les recherches menées par la
police suédoise, l'athlète japonais demeure introuvable. Les spéculations vont
bon train. Certains affirment l'avoir vu s'évanouir dans les rues de Stockholm
tandis que d'autres, plus farceurs, racontent que Shizō Kanakuri a été aperçu ivre mort dans un
bar de la capitale suédoise en compagnie de deux jolies demoiselles.
Dans tous les journaux de Suède, la
rubrique faits divers ne parle que de cette mystérieuse disparition. Le
marathonien japonais s'est volatilisé, a trompé la vigilance des commissaires
de course, mais il n'est pas mort : Aux Jeux d'Anvers de 1920, Shizō Kanakuri
franchit cette fois-ci la ligne d'arrivée, crédité d'une honorable seizième
place.
Une histoire à dormir
debout :
Alors, que lui est-il arrivé à
Stockholm huit ans plus tôt ? La question aurait pu, à tout jamais, rester sans
réponse. La légende du coureur japonais disparu tombe dans l'oubli, jusqu'à ce
qu'un journaliste suédois la dépoussière en 1962, à l'occasion du
cinquantenaire des Jeux de Stockholm.
Déterminé à élucider cette affaire, le
journaliste remonte la trace de Shizō Kanakuri et le retrouve. Un demi-siècle
plus tard, le marathonien japonais est devenu un professeur de géographie
respecté, travaillant à quelques kilomètres seulement de son village natal.
Marié, il a six enfants et dix petits-enfants. Dans un entretien accordé au
journaliste suédois, il accepte de
livrer la vérité et mettre fin au mystère.
Comme la moitié des concurrents, Shizō
Kanakuri a, lui aussi, été victime d'une défaillance. Aux alentours du
trentième kilomètre, voyant un homme siroter un jus de fruits devant sa
maison, le coureur nippon s'arrête pour lui demander à boire. L'habitant fait
preuve d'une immense compassion, revient avec de l'eau et lui propose un lit
pour se reposer. Shizō Kanakuri accepte volontiers. Le coureur s'allonge pour
faire une simple sieste de quelques minutes, mais Morphée le plonge dans un
profond sommeil qui s'éternisera jusqu'au petit matin.
Le marathonien japonais se réveille
couvert de honte, peiné d'avoir déshonoré son pays en ne réussissant pas à
terminer l'épreuve. Par peur de devoir expliquer publiquement son abandon, il
décide de rentrer incognito au Japon en prenant le premier bateau à destination
du continent asiatique, Shizō Kanakuri retourne à son domicile, priant pour que
sa mésaventure ne soit jamais révélée.
Lorsqu'elle l'est, un demi-siècle plus
tard, l'histoire déclenche une vive émotion en Suède. En 1967,
le Comité
olympique suédois invite Shizō Kanakuri à Stockholm afin
qu'il termine le marathon qu'il n'est pas parvenu à achever. Âgé de 76 ans,
il réalise la fin du parcours en courant et pénètre dans le stade olympique
sous l'ovation des spectateurs venus en nombre. 54 ans, 8 mois, 6 jours, 5
heures, 32 minutes et 20 secondes après le départ, Shizō Kanakuri franchit la
ligne d'arrivée, les bras levés vers le ciel » ---
--- On peut considérer qu'il s'agit du
marathon le plus lent du monde, mais quelle revanche sur la vie ! Shizō
Kanakuri mérite la médaille d'or de la lenteur !
Roland Bérenguier Septembre 2024
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