MAI 2023
Coup de cœur N° 132
Plus de 2000 ans sous cannabis !
Sujet constamment d'actualité, dans
les faits divers graves, dans la société … Que de débats sur la dépénalisation
ou pas, la légalisation ou pas du cannabis !
Définition du Larousse :
Cannabis : 1. Nom scientifique du
chanvre.
2. Drogue dérivée du chanvre indien, telle que le haschisch ou la
marijuana, consommée pour ses propriétés psychotropes.
Récemment, le 23 janvier 2023, le
Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté un projet d'avis sur la législation qui prohibe la
consommation et la vente du cannabis récréatif. Face à un constat
d’échec de la politique de répression, le CESE appelle les pouvoirs publics à
"repenser totalement" la question du cannabis en ouvrant
un large débat au sein de la société.
"Malgré la mise en place d’un
système de prohibition depuis plus de 50 ans, un des plus répressifs d’Europe,
la France est le pays de l’UE qui compte en proportion le plus de consommateurs
de stupéfiants" constate la commission "Cannabis" du
Conseil économique, social et environnemental.
Remontons
les siècles et retraçons un article du Monde « Histoire et
Civilisations », paru en janvier 2021 sous la plume de l'historien Jordi
Pérez Gonzalez :
« « Grecs
et Romains prennent goût aux drogues :
Classés
dans la catégorie des médicaments, le cannabis ou encore l’opium servaient
autant à soigner qu’à se divertir.
Au Ve siècle av. J.-C., le
philosophe ionien Diagoras de Melos assurait qu’il valait mieux mourir que de
succomber aux charmes de l’opium, alertant ainsi sur un danger désormais avéré
pour la santé : la toxicomanie. Ses mises en garde ne trouvèrent pourtant
guère d’écho auprès des sociétés antiques, en particulier chez les Romains,
puisque de nombreuses drogues circulèrent librement à travers la Méditerranée
sans que leur utilisation ne fût jamais sanctionnée, sauf si elle avait pour
but de nuire, d’empoisonner ou d’assassiner.
Dans l’Antiquité, les drogues
figuraient parmi les nombreuses substances naturelles réputées pour produire
des effets précis sur l’organisme. Elle étaient classées dans la vaste
catégorie des « médicaments » (en grec ancien, pharmakon signifie à la fois « poison » et « remède »).
Définies par le Corpus hippocratique
comme des « substances qui agissaient en refroidissant, réchauffant,
séchant, humidifiant, contractant, détendant ou endormissant », elles
étaient ainsi employées pour préparer des calmants, des remèdes ou des potions.
Les plantes, remèdes
autant que poisons :
Des auteurs tels que Pline l’Ancien et
Dioscoride recensent près de un millier de drogues différentes, dont la
mandragore, la jusquiame noire, la belladone, le datura, la ciguë, l’aconit,
les champignons vénéneux, le vin, le cannabis et l’opium. Outre l’apparence et
l’origine de ces substances, ils en décrivent le mode d’administration :
les herbes étaient infusées, macérées, appliquées sous forme de cataplasmes et
d’emplâtres, ou encore ingérées sous forme de poudre, tandis que les huiles
étaient appliquées sur la peau, diluées dans des bains thérapeutiques ou
inhalées.
Employée à différentes fins
thérapeutiques, la mandragore était par exemple connue pour les propriétés
sédatives de ses feuilles et de ses racines, dont l’ingestion favorisait le
sommeil. Plante toxique et puissant narcotique originaire des bords de la mer
Caspienne, le datura était quant à lui connu pour les délires très particuliers
qu’il provoquait, mais aussi pour la grande efficacité de ses feuilles contre
des gênes respiratoires telles que l’asthme. Couramment utilisée dans les
foyers pour calmer les troubles du sommeil et les maux de dents, la belladone
produisait aussi des fruits dont le jus était appliqué sur les pupilles à des
fins récréatives.
Du cannabis dans les
temples :
L’opium et le cannabis étaient les
drogues les plus consommées dans l’Antiquité gréco-romaine. Le cannabis est
perçu depuis des millénaires comme une plante mystérieuse, sacrée, voire
démoniaque. Les Grecs et les Romains en découvrirent les effets à mesure qu’ils
étendirent leur domination vers la Méditerranée orientale, puis
l’introduisirent dans certains rituels religieux sous forme d’encens ou de
« parfum » dont ils répandaient l’odeur « à travers la
fumée », dans le sens étymologique de l’expression latine per fumare. En se consumant, le cannabis
dégageait un arôme dont l’inhalation provoquait un effet stimulant, reposant ou
hallucinogène.
Parce qu’il était relativement rare
sur les marchés méditerranéens, le cannabis devint un produit de luxe. Grâce au
médecin Galien, on sait que les élites romaines prirent l’habitude athénienne
de s’en offrir dans des contextes mondains, tandis que ses propriétés
hallucinogènes le rendirent très populaire dans les banquets. Le mythe raconte
ainsi qu’Hélène de Troie eut recours au cannabis pour apaiser les convives d’un
repas offert par Ménélas, à leur insu, en le mélangeant au vin qu’elle leur
servait. Plongé dans une profonde léthargie, quiconque goûterait de ce breuvage
« ne laisserait pas couler de tout le jour une larme le long de ses joues,
quand même et sa mère et son père mourraient, quand même en sa présence on
égorgerait avec le fer un frère ou un fils bien-aimé, et que ses yeux en
seraient témoins », raconte Homère dans son Odyssée. Pline l’Ancien énumère pour sa part les vertus
thérapeutiques du chanvre, dont la racine cuite « relâche les
articulations contractées, et s’emploie pour la goutte et les affections
semblables. On l’applique crue sur les brûlures. » Cette plante était
aussi considérée comme un remède contre l’impuissance sexuelle.
Baptisé « opium » par les
Grecs, le suc obtenu par incision des capsules de pavot (Papaver somniferum) fut largement utilisé par les sociétés
antiques. D’aucuns considéraient que seuls les dieux en connaissaient les
secrets, jusqu’à ce qu’Asclépios, le dieu guérisseur de la mythologie grecque,
les révélât aux mortels ; d’autres attribuaient la découverte de cette
drogue à Hermès, le dieu des Voyages et du Commerce, ou encore à Alexandre le
Grand lors de ses conquêtes en Asie, qui en aurait introduit la consommation
dans la région méditerranéenne.
De dangereux
narcotiques :
Des auteurs comme Hérodote, Hippocrate
et Théophraste s’intéressèrent aux différentes applications du pavot, notamment
dans le domaine médical. Des médecins comme Dioscoride ou Héraclide de Tarente
en soulignèrent les vertus calmantes et somnifères, corroborées par Plutarque,
qui décrit l’opium et la mandragore comme les médicaments narcotiques les plus
couramment utilisés pour provoquer le sommeil. Parfois représentée avec un
coquelicot à la main, la déesse Junon elle-même y aurait eu recours pour
défendre Rome en droguant le général carthaginois Hannibal, afin de le tenir
éloigné de la capitale romaine. C’est du moins ce que raconte la Guerre punique du poète Silius
Italicus : « Elle appelle aussitôt le Sommeil, [qui] emporte dans une
corne recourbée les pavots qu’il a préparés. Il descend dans le silence de la
nuit, se rend à la tente du jeune Barcéen et […] verse le repos sur ses
yeux. »
Les variétés orientales de ces drogues
restèrent les plus demandées par les Grecs et les Romains, qui les
acclimatèrent néanmoins sous leurs latitudes. On raconte ainsi que Tibère se
retira sur l’île de Capri pour pouvoir y consommer l’excellent opium local,
planté des siècles auparavant par les premiers colons grecs. Pour éviter la
consommation de drogues altérées, des auteurs comme Dioscoride ou Pline
expliquent que l’opium de qualité est malléable et dégage un puissant arôme ;
à l’état pur, il se dissout facilement dans l’eau et fond sous les rayons du
soleil.
Pline assurait que « le pavot
[avait toujours été] en honneur chez les Romains », comme en témoignent
les préparations concoctées par les médecins pour les empereurs des Ier et IIe siècles apr. J.-C. Le
médecin d’Auguste aurait ainsi composé un remède portant son nom,
l’« antidote de Philon » ou philonium,
avec du poivre blanc, du miel et de l’opium ; Andromaque l’Ancien, médecin
de Néron, aurait inventé la thériaque, une composition calmante contenant un
tiers d’opium. Même si elles étaient considérées comme des médicaments, ces
préparations semblent avoir induit une dépendance chez les patients.
Des prix plafonnés par l'Etat Romain : Le commerce de l’opium, du
cannabis et d’autres drogues utilisées en médecine fut réglementé par les
pouvoirs publics. Promulgué en 301 apr. J.-C., l’édit de Dioclétien
établit le prix des marchandises dans l’Empire, en indiquant qu’il s’agissait
de biens de consommation courante sur lesquels il n’était pas permis de
spéculer. Le prix d’un modius militaire
(17,5 litres) de graines de cannabis ne pouvait dépasser 80 deniers. Le
prix du pavot était limité à 150 deniers et correspondait à celui des
herbes médicinales (medicae seminis).
Le commerce de ces drogues, aux prix situés dans la même fourchette que
certains produits de première nécessité (blé, fèves moulues, haricots ou pois
chiches, dont le modius militaire
coûtait 100 deniers), devait donc être répandu sur les marchés méditerranéens.
Un empereur opiomane ? Sur la prescription de son médecin Galien,
Marc Aurèle prenait chaque jour une pastille d’opium infusée dans du vin.
D’après certains auteurs, l’empereur développa une dépendance dont
témoigneraient les visions décrites dans ses Pensées, telle sa perception vertigineuse du temps. D’autres
auteurs n’y voient toutefois que des images typiques du stoïcisme, dont il
était adepte.
De Vénus au venenum : Dérivé de « Vénus » et
initialement associé au philtre d’amour, le terme latin venenum finit par désigner les drogues utilisées pour guérir,
empoisonner, avorter ou se suicider. Celui qui les préparait recevait le nom de
veneficus, parfois déformé en maleficus. » »
Plus de 2000 ans sans solution,
terminons par une question d'humour :
Si l’on considère qu’Astérix et Obélix
étaient censés vivre à l’époque romaine, tout cela pourrait peut-être expliquer
d’où ils tenaient leurs pouvoirs magiques ?
Roland Bérenguier
Pierrevert – Mai 2023
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