Avril 2021
Coup de Cœur N°109
Le sexe des mots
Depuis toujours, la langue française
évolue et c'est tant mieux. Ces dernières années ont vu fleurir maints débats
et autant de prises de positions sur la féminisation des métiers, sur
l'écriture inclusive, sur le point médian, sur l'élimination du sexisme dans le
langage et la promotion d’un langage reflétant le principe d’égalité entre les
femmes et les hommes …
Le débat
d'une langue moins sexiste ne concerne pas que le français. Le suédois a
ainsi inclus "hen" un pronom non-genré, de plus en plus
utilisé. L'astérisque remplace le point médian pour l'italien inclusif. Les
mots peuvent se terminer en a/o en espagnol …
L'écrivain,
philosophe, journaliste Jean-François Revel, né Ricard (1924-2006), élu en juin
1997 à l'Académie Française commentait la féminisation des mots dans un article
paru dans l'hebdomadaire
« Le Point » en juillet 1998, intitulé « Le sexe des mots » :
«« Byzance tomba aux mains des
Turcs tout en discutant du sexe des anges.
Le français achèvera de se décomposer
dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots.
La querelle actuelle découle de ce
fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en
possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous,
quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont
grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe
de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.
Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en
valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine
quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui
condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de
sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une
fripouille ou une andouille.
De sexe féminin, il lui arrive d’être
un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il
réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ? Absurde !
Ces féminins et masculins sont
purement grammaticaux, nullement sexuels.
Certains mots sont précédés d’articles
féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges
ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit : «
Madame de Sévigné est un grand écrivain » et « Rémy de Goumont est une plume
brillante ». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la
sentinelle, qui est presque toujours un homme.
Tous ces
termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un
article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est
qu’une banale faute d’accord.
Certains substantifs se féminisent tout naturellement : une pianiste,
avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame
ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou
commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à
l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à
l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme.
Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême.
Une langue bouge de par le mariage de
la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale.
Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des
politiques. L’État n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la
grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école
publique pour imposer ses oukases langagiers à tout une jeunesse.
J’ai entendu objecter : « Vaugelas,
au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la
langue française ?». Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce
n’était qu’un auteur, dont
chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens
d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais
tranché personnellement de questions de langues.
Si notre gouvernement veut servir le
français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe,
ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à
longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et
cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la
tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des
sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette
honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire.
Ils ont trouvé le sésame démagogique
de cette opération magique : faire avancer le féminin faute d’avoir fait
avancer les femmes. »» … Jean-François
Revel (1998)
(Certains termes cités par
Jean-François Revel ont évolué depuis son article.)
- Dans son « Discours
sur l’universalité de la langue française », Antoine de
Rivarol (1753-1801) écrivait que ce qui faisait l’universalité de la langue
française à son époque, c’était « l’ordre et la construction de la
phrase », qui lui donnaient sa « clarté
par excellence » …
Roland Bérenguier
Pierrevert - Avril 2021
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