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COUP DE CŒUR N° 79 DE ROLAND BERENGUIER
Coup de coeur ROLAND BERENGUIER

16 MAI 2018

Coup de Coeur N° 79

Le mystère de l'Auberge de Peyrebeille

Peyrebeille ? Ce nom a une résonance particulière et mystérieuse.

L'Auberge de Peyrebeille, située le long de la RN 102 sur la commune de Lanarce dans le département de l'Ardèche, est un lieu tristement chargé d'histoire.

Cette auberge est aussi connue sous le nom d 'Auberge Rouge ou Auberge Sanglante.

Au début du XIXème Siècle, alors que les hivers sur le Plateau Ardéchois étaient très rudes et la route peu sûre, l'Auberge Rouge fut en effet le lieu d'une abominable affaire criminelle qui défraya la chronique.

Le site « Retronews » de la Bibliothèque Nationale de France est une mine d'or si l'on veut consulter les articles de presse relatant cette affaire qui remonte aux années 1820-1830.

Un bon résumé des événements a été traité par le Journal « 20 minutes » et citait divers organes de presse.

Il est presque midi, ce 2 octobre 1833. Une journée et demi a été nécessaire au convoi pour parcourir la soixantaine de kilomètres séparant la prison de Privas (Ardèche) au hameau de Peyrebeille. Il a fallu traverser la chaîne de l’Escrinet, remonter la vallée de l’Ardèche, passer le col de la Chavade. Pour enfin tomber sur cette vieille bâtisse sinistre, située sur un plateau désertique balayé par les vents.

Condamnés à mort par la cour d’assises, deux hommes et une femme descendent de la charrette escortée par les gendarmes. « Ces individus, tenant une auberge à Peyrebeille, commune de Lanarce, faisaient métier d’assassiner les étrangers, notamment les colporteurs, qui avaient le malheur d’y loger », écrit Le Constitutionnel dans son édition du 15 juillet 1833. Un à un, ils montent sur l’échafaud dressé dans la cour, se couchent, et attendent que le bourreau lâche la corde qui fera tomber le couperet.

Près de 30.000 personnes ont fait le déplacement par cette froide journée d’automne pour voir ce couple, propriétaires d’une petite auberge, et leur domestique, être guillotinés. « En ce temps, les crimes étaient expiés à l’endroit même où ils avaient été commis », explique, dans son édition du 25 octobre 1833, Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire Cette ancienne ferme aurait été, raconte-t-on dans le pays, le théâtre, pendant plus de vingt ans, d’une cinquantaine de meurtres et de nombreux vols, commis par les tenanciers, Pierre et Marie Martin, et leur employé, Jean Rochette.

L’histoire veut qu’ils « assassinaient et détroussaient les voyageurs » qui s’arrêtaient dans l’établissement, situé « sur la route de Viviers au Puy-en-Velay, en pleines Cévennes », écrit Le Petit Journal, le 28 décembre 1942. Le trio aurait fait subir les pires tortures à ses victimes. Selon la légende, le domestique entrait en pleine nuit dans leur chambre « armé d’un trident, les clouait sur leur lit, tandis que la femme Martin leur versait dans la bouche de l’huile bouillante ou du plomb fondu ». Pendant ce temps, « le vieil aubergiste que la rumeur publique avait surnommé Lucifer, leur aplatissait le crâne à coup de maillet ». Les murs des chambres avaient été peints en rouge pour éviter les taches de sang.

Après avoir été dépouillés, les cadavres étaient brûlés dans un four installé « au-dessus de la vaste cheminée, à droite, en entrant dans la cuisine ». Puis, le domestique, un « ancien lutteur forain », allait disperser les cendres dans la nature. « Parfois c’était des familles entières que l’on massacrait », ajoute le journal. En tout, 53 personnes auraient été trucidées par le trio diabolique. Alors, ce 2 octobre 1833, tandis que le sang des accusés ruisselait au bas de l’échafaud, « le pays tout entier avait la sensation d’être délivré de la terreur panique qui planait sur lui ».

Voilà pour la légende de l’auberge rouge. Celle qui a été racontée au cinéma en 1951 par Claude Autant-Lara(avec Fernandel, Carette, F. Rosay) puis Gérard Krawczyk en 2007(avec G. Jugnot, C. Clavier, J. Balasko). Celle qui fait encore venir les touristes avides de frisson dans l’établissement. « Il faut lire les minutes du procès. Le reste, ce n’est que de la littérature, des on-dit, des rumeurs », explique à 20 Minutes la psycho-criminologue Michèle Agrapart-Delmas. Effectivement, en réalité, seule la mort d’un client a été établie par la justice. Il s’agit de Jean-Antoine Enjolras, un habitant de la Haute-Loire, dont le corps fut retrouvé quatorze jours après sa disparition, sur les bords de l’Allier.

Un témoin a ensuite affirmé avoir vu les aubergistes et leur domestique transporter sur un cheval le corps d’un homme. Et deux autres ont déclaré avoir assisté de plus ou moins loin au meurtre. Pourtant, rien ne prouve réellement qu’il a été assassiné à l’auberge. Le Petit Journal souligne en particulier la « faiblesse de ces dépositions, qui venaient se heurter, d’ailleurs, aux dénégations formelles des trois accusés ». Mais le quotidien explique que « ce qui perdit les aubergistes de Peyrebeille et donna naissance à tout ce monstrueux roman, c’est qu’ils déclarèrent de prime abord n’avoir point reçu Enjolras, le soir du 12 octobre, et qu’il fut au contraire bien établi qu’il s’était arrêté chez eux ».

Le quotidien s’appuie sur les travaux menés par Me Joseph Malzieu, un avocat du Puy-en-Velay, qui a « fouillé courageusement le dossier de cette vieille histoire devenue une horrible légende » Ce dernier formule l’hypothèse qu’Enjolras, âgé de 72 ans, a pu succomber « de libations excessives, ou de toute autre cause ». « Craignant les remontrances de la famille, qui aurait pu reprocher à Martin de l’avoir laissé trop boire, de l’avoir mal soigné, l’aubergiste a pris peur. Il a jeté le cadavre dans l’Allier pour faire croire à un accident. » D’ailleurs, il s’étonne que le trio maléfique n’ait pas « employé le fameux four pour faire disparaître le corps » de cet homme qu’ils auraient assassiné.

Mais voilà, à cette époque, écrit Le Petit Journal « la terreur régnait sur tout ce pays cévenol, infesté de voleurs de grands chemins ». « Les zones rurales étaient particulièrement isolées. Les gendarmes étaient présents presque uniquement pour vérifier que les gens aient bien effectué leur service militaire, mais c’est tout », précise Michèle Agrapart-Delmas. Les techniques d’enquêtes étaient elles aussi encore très rudimentaires. « Il n’y avait ni l’ADN, ni les empreintes digitales, ni les photos anthropométriques, les scènes de crimes n’étaient pas figées », ajoute la spécialiste.

Ainsi, il était difficile à l’époque d’arrêter les brigands qui semaient la terreur dans ce pays cévenol. Les Martin et Jean Rochette ont sans doute été opportunément « chargés de toutes les disparitions inexpliquées de la région, de toutes les plaintes classées », estime Le Petit Journal Les vrais coupables, eux, se trouvaient probablement ce 2 octobre 1833 « parmi ceux qui criaient le plus fort et gambillaient le plus lestement ».

Depuis près de trois ans, la visite de la sombre demeure n’est plus assurée par un guide mais par un procédé son et lumière automatique. Ceci dit, l’endroit conserve son aura. La pénombre intérieure, l’odeur lancinante d’encaustique, et l’aménagement d’époque, en plus de la voix grave et théâtrale du guide virtuel, nous ramènent dans un autre temps.

Un établissement plus moderne jouxte cette fameuse auberge, avec restaurant, chambres et produits régionaux … Visiter « l'Auberge Sanglante » et dormir dans l'auberge actuelle en pensant à ce qui aurait pu vous arriver au XIXème siècle !






 
Roland Bérenguier - Pierrevert – MAI 2018







Réalisation Alain Escobar