16 MAI 2017
Coup
de cœur n° 68
Il
existe en France, comme dans tous les pays du monde nombre de
villages et hameaux abandonnés.
Mon coup de cœur ira ce mois-ci à ces villages désertés.
Une chronique du journal « Le Monde » daté de juillet 2014
me revient en mémoire, et ayant retrouvé cet article de Nicolas
Montard, je le retrace ci-dessous :
En
ce lundi de Pentecôte, le soleil écrase le Haut Var. Dans un pré
fraîchement fauché, une soixantaine de personnes devisent gaiement
autour de tables de camping, en partageant des spécialités
régionales. On pourrait à une réunion de famille.
L'heure est pourtant à la nostalgie. Quand les anciens habitants de
Brovès (Var) reviennent sur leurs terres pour leur pèlerinage
annuel, avec l'autorisation de l'armée, c'est un cauchemar qu'ils se
remémorent – celui de leur expropriation, il y a tout juste
quarante ans. Même si un espoir un peu fou flotte dans l'air : et si
ce village fantôme renaissait de ses cendres ?
Brovès.
«
Un Larzac avant l'heure », souffle
Alain Costanzo, l'un des membres de ce rassemblement. A la différence
qu'ici, l'Etat a gagné. Au sortir de la seconde guerre mondiale,
l'armée cherche un vaste espace où aménager un camp militaire. Le
plateau de Canjuers, à une demi-heure de Draguignan, est retenu au
début des années 1960. Le village, né au XVe siècle, se trouve
dans le périmètre. Il compte encore quatre-vingt-six habitants
l'hiver et bien plus l'été, quand les anciens partis à la ville
reviennent en vacances. Le week-end de la Pentecôte 1974, quelques
mois après avoir déterré les morts – car il fallait aussi
déplacer
les tombes du cimetière –, le couperet tombe : les récalcitrants
doivent plier
bagage. La cité pastorale est désormais déserte. Et interdite
d'accès, ce qui lui donne aujourd'hui cette allure fantomatique
quand on la découvre depuis la route, seul espace autorisé au
public sur le camp militaire.
Le
village semble avoir été abandonné précipitamment. Intra-muros,
le spectacle est d'une infinie tristesse : toitures et pans de mur
écroulés, balcons effondrés, gravas amoncelés dans les
habitations. L'église a perdu ses cloches, et son horloge indique
toujours la même heure : 12 h 20. Le temps s'est arrêté.
VIDÉS
AUX XIXe ET XXe SIÈCLES PAR LA GUERRE OU L'EXODE RURAL
Combien
de villages fantômes existe-t-il en France
? «
Que doit-on englober
dans cette appellation ? »,
demande en écho Pierre Pistre, docteur en géographie. Ceux où il
n'y a plus d'habitants, mais encore des ruines ? Ceux qui comptent
toujours une ou deux âmes en dehors du centre-bourg
? Il serait, selon lui, hasardeux d'avancer
un chiffre. Une certitude cependant : ils sont loin de l'image des
ghost
towns
américaines, ces villes
fantômes qui se comptent par milliers, créées artificiellement
pour la ruée vers l'or et abandonnées une fois les filons épuisés.
En
France, il s'agit de villages ou de hameaux multiséculaires, vidés
aux XIXe et XXe siècles par la guerre – comme les villages
détruits aux alentours de Verdun, jamais reconstruits –, par
l'exode rural ou par les projets d'aménagements de l'Etat, tels les
barrages, lacs, camps militaires…
Ils
s'accompagnent d'expropriations. Et d'une inévitable douleur.
Pendant trente ans, les Brovésiens ont regardé leur village tomber
en ruine. En 2004, c'est l'électrochoc : la presse locale annonce la
possible destruction de ce qu'il reste de Brovès. Une poignée
d'anciens constituent une association. «
On s'est dit : pourquoi pas en faire
un musée des anciens métiers, des jardins de la biodiversité ? »
Depuis
une dizaine d'années, un dialogue a repris avec l'armée. Les
rendez-vous
s'enchaînent, régulièrement. Mais rien ne bouge. Les gradés
changent souvent d'affectation, déplorent les ex-Brovésiens, tout
en reconnaissant que l'attitude à leur égard évolue.
«
REVIVRE À BROVÈS PARAÎT IMPOSSIBLE, C'EST UNE CHIMÈRE »
La
plupart des habitants se sont toutefois fait une raison : «
Revivre
à Brovès paraît impossible, c'est une chimère »,
lâche Alain Costanzo, qui enchaîne les conférences dans la région,
afin de sensibiliser
les populations au sort du village et d'en
sauvegarder
la mémoire. Il craint qu'un jour les lieux
ne soient définitivement rasés, et qu'à la mort des derniers
témoins plus personne ne se souvienne d'une vie, ici, sur le plateau
de Canjuers.
Faire
revivre
un village fantôme, une illusion ? «
Il faut distinguer
deux
types de bourg. Ceux où il n'y a plus de vie depuis des décennies,
où il sera difficile de recréer une communauté. Et ceux où un
mince lien s'est maintenu au fil des années, qui laisse un espoir. »
C'est
le cas de Celles, dans l'arrière-pays héraultais en bordure du lac
du Salagou, qui a inondé la vallée il y a quarante-cinq ans. A
l'époque,
quatre-vingts habitants sont expropriés. Violemment : «
Ça a duré dix ans. Les fonctionnaires venaient à 6 h 30 du matin
frapper
à la porte des gens, parfois quand le mari n'était pas là pour
convaincre la femme »,
se rappelle l'énergique Joëlle Goudal, actuelle maire de la
commune. L'Etat l'emporte : le lac doit permettre
de remplacer
la viticulture, en crise, par la culture
d'arbres fruitiers, consommatrice d'eau. Le centre-bourg devait être
immergé lors d'une seconde phase de remplissage du Salagou, il
restera finalement au sec à 143 mètres, l'eau ne dépassant jamais
la cote 139. Dans les années 1970, la commune est néanmoins
abandonnée aux pilleurs de pierres et à une communauté hippie.
Quelques
expropriés n'entendent pas abdiquer.
Hors de question que la commune meure à mesure des dégradations ou
qu'elle soit administrativement rattachée à un village voisin. La
ténacité paie : un ancien habitant s'installe au milieu des ruines
pour garder
les lieux, puis deux familles investissent des appartements, rénovés
par la mairie et des bénévoles. L'existence légale de Celles est
sauvée devant le Conseil d'Etat. La place de la mairie, des
bâtiments communaux et l'église sont rénovés. Aujourd'hui, quand
on découvre le village à la terre rougeâtre se reflétant dans
l'eau du lac, l'impression est paradoxale. La plupart des maisons
sont en ruine et bardées de grillage ; des entrées sont murées,
colorées de graffitis. Mais au centre de ce paysage désolant, la
mairie affiche ses horaires d'ouverture, une boîte aux lettres de La
Poste, les heures de levée du courrier.
«
L 'IDÉE EST DE RECRÉER UNE VIE
QUI
PROFITE À TOUTE LA RÉGION »
La
réhabilitation de Celles, étudiée depuis de longues années, est
rendue possible par la cession du bâti – propriété du
département jusqu'en 2010 – à la commune pour un euro symbolique,
se réjouit Nathalie Benoudiz, conseillère municipale : «
L 'idée est de recréer une vie de village qui profite à toute la
région. »
Le projet,
à l'horizon 2019, est centré sur les techniques et les savoir-faire
de l'environnement
: un architecte, un agriculteur bio et une entreprise de
bioconstruction sont sur les rangs. Il faudra néanmoins valider
le montage juridique entre collectivité et nouveaux habitants, le
conseil municipal entendant garder la main sur la destination des
maisons.
Des
projets de cette envergure sont rares. En Haute-Vienne, l'homme
d'affaires et photographe coréen Yoo Byung-eun, alias Ahae, entend
transformer
Courbefy en village d'artistes. Ailleurs, quelques hameaux sont
devenus des gîtes pour touristes. On est loin de Bodie, en
Californie, devenue, comme d'autres ghost
towns,
une attraction touristique organisée. En France, dans la plupart des
cas, ces résistants des villages fantômes ont deux visages : soit
d'anciens habitants ou descendants qui ne veulent pas perdre
le lien avec la terre de leurs ancêtres, soit des amoureux de ces
coins de terre oubliés sur lesquels ils sont tombés par hasard.
Comme Daniel Megy, au Poil, l'un des cinq habitants de cette commune
des Alpes-de-Haute-Provence, dont le centre-bourg a été abandonné.
Et pour cause : c'est après trois quarts d'heure de marche le long
d'un chemin que l'on découvre Le Poil, ou plutôt ce qu'il en reste.
La plupart des trente-trois maisons se réduisent à des pans de mur,
contrastant avec quelques bâtisses retapées, aux volets en bois
fermés. Sur la place, un couple de randonneurs se rafraîchit au
lavoir. En contrebas, on aperçoit des jardins potagers cultivés.
« JE
N'AI JAMAIS VU RIEN D'AUSSI AFFREUX
QUE
LES RUINES DU POIL »
Le
Poil est un emblème de l'exode rural. Ici, loin de tout, à 1 220
mètres d'altitude, jusqu'à cent cinquante personnes vivaient dans
le centre du village et jusqu'à trois cents dans toute la commune,
au XIXe
siècle. Les conditions hivernales extrêmement rudes, l'attrait de
la ville, les enfants trop nombreux pour se partager
les terres, ont forcé petit à petit les montagnards à l'exil.
L'écrivain et historien Georges Sadoul décrit avec sensibilité son
abandon définitif, à la fin des années 1930, dans l'hebdomadaire
Regards
: «
J'ai vécu mon enfance dans les ruines d'une ville brûlée par la
guerre… Mais je n'ai jamais, de ma vie, vu rien d'aussi affreux que
les ruines du Poil. »
A l'époque, des objets et des meubles témoignent encore d'une vie
récente.
Le
village aurait pu disparaître
comme d'autres. Sauf que, dans les années 1970, un Parisien,
Philippe Cougnot, fonde une association pour rénover l'école et la
mairie, transformées en refuge pour randonneurs. Les Amis du Poil,
dont le président, Alain Bertrand, vit aujourd'hui sur place l'été
et les week-ends, prennent le relais : régulièrement, les murs de
pierre sèche sont renforcés, les abords débroussaillés. «
Nous entretenons ce qu'il reste du village, explique
Daniel Megy, adjoint chargé du Poil à Senez, la commune qui a
englobé le village en 1973. Nous
cultivons aussi du blé à l'ancienne, nous distillons de l'huile de
lavande. »
En juillet, ils organisent une fête avec des habitants des environs,
parfois des descendants. Une idée a récemment germé : monter
un projet de rénovation plus ambitieux avec des chantiers de jeunes.
Le projet est encore flou. «
Jamais le village ne revivra comme avant,
observe sans illusions Daniel Megy. Mais
s'il y a dix ans, on pouvait encore considérer
Le Poil comme un village fantôme, cette appellation n'est plus
justifiée. Désormais, il y a une nouvelle vie. Différente. »
On
peut citer plusieurs communes des Alpes-de-Haute-Provence,
victimes de l'exode rural au cours du XXe siècle :
Augés,
Beaudument, Chateauneuf-les-Moustiers, Chénerilles, Courchons,
Creisset, Douroulles, Esclangon,
Lagremuse, Levens,
Majastres, Mariaud, Saint-Symphorien, Trévans, Troins.
En
ce printemps qui arrive, voilà de belles idée de randonnées pour
retrouver des sites chargés d'histoire et parsemés de belles
pierres.
Roland
Bérenguier - Pierrevert. Mai 2017.
Village de « Le Poil »
Roland Bérenguier - Pierrevert – MAI 2017 - roland.maison@orange.fr
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