16 avril 2016
RUBRIQUE COUPS DE CŒUR N°39 DE Jean-Michel
IMPÉRATRICE
Douleur
et souffrance psychique : ses rapports avec l’empathie ?
Si
les notions de douleur
morale et de souffrance psychique semblent
s’imposer comme une évidence brutale dans le ressenti de la
personne qui est confrontée, sans toutefois qu’elle n’en ait
toujours les clés ni de sa compréhension ni de son soulagement;
elle surprend , déstabilise, émeut, effraie l’autre qui est
confrontée et rend complexe
l’exercice nécessaire mais délicat de l’empathie dans la
relation d’aide.
Il
ne s’agit pas ici de reprendre le vaste débat sur l’empathie en
thérapie mais d’examiner comment la mise en perspective de douleur
et souffrance avec elle, permet de les éclairer mutuellement.
« La
souffrance n’est pas la douleur »
-Paul Ricœur
C’est
un débat ancien et complexe qui ne peut se résumer à la facilité
d’une analogie : la différence entre les deux ne peut non
plus s’entendre comme une forme d’équivalence à Plaisir et
bonheur. La douleur psychique chez Freud évoque le deuil dans toutes
ses déclinaisons.
Il
est cependant fondamental dans l’approche thérapeutique, de
discerner le « Dedans » du « Dehors », les
différents registres inter et intra personnels, social, de dissocier
lieu et topographie et de gérer la résonnance du transfert.
« En
effet, être confronté à la maladie, à la violence, à la
souffrance, à la mort, provoque inévitablement, et en écho, chez
tout soignant des angoisses de vide, de chute, de morcellement, de
mort. »
(Gilles Brandibas)
L’écoutant
plus que jamais doit être distinct sans être distant. Le « Je
ne suis pas l’autre » n’est pas un simple rapport à
l’altérité.
Il
est une condition sine qua non dans une situation de face à face où
la distance thérapeutique n’est pas métrique mais la
bienveillance n’est ni une technique ni une valeur morale, une
nécessité à l’intérieur de la bulle de respect que constitue
l’espace de l’écoute et de l’échange.
La
douleur étant dans notre compréhension immédiate plus concevable
en tant que douleur physique associée à une plaie, une blessure,
une maladie ou un trauma; sa dimension psychique se perçoit
néanmoins souvent confusément et les deux au total sont des
déclencheurs chez l’autre d’une forme d’empathie et d’une
nécessité d’aider.
Cette
« empathie » souvent présentée-trop rapidement- comme
« naturelle » ne demande qu’à s’exercer, sans trop
en maîtriser les modalités car tant la douleur que la souffrance
psychique obéit à des mécaniques complexes et ne donnent pas lieu
systématiquement à une « plainte », des signes ou une
verbalisation intelligible.
Notre
rapport à l’autre, dans sa douleur criée ou muette, dans sa
souffrance qui fait partie de lui est souvent altéré, car pouvant
passer par divers registres variés, l’ignorance, la peur, la
sidération, le contentement dans la vengeance, le traumatisme induit
face à l’accidenté meurtri dans sa chair ou déchiré par
l’effraction psychique.
Les
souffrances intenses où le Moi est fusionné avec la douleur, obture
ou dénature ses vecteurs d’expression.
La
personne en souffrance totale devient étrangère à l’autre et
totalement en sa dépendance.
Cette
souffrance archaïque évoque les premières détresses du très
jeune enfant.
Et
c’est pourtant face à cette complexité, que se trouve confrontés
la famille, les proches et l’aidant devant la personne présentant
une demande d’aide pour une douleur et/ou une souffrance psychique.
Pour
le proche comme le professionnel, si l’empathie paraît s’imposer
comme une nécessité ; son expression et sens sont pourtant à
géométrie variable : de l’empathie il est facile de glisser
à la compassion, la souffrance « partagée-ensemble »
qui peut conduire à la volonté acharnée de guérir l’autre de
ses maux (une forme de Toute-puissance) , une identification
projective où l’on règle ses « propres comptes » à
travers l’autre ou une forme de chaos émotionnel, le « KO »
du traumatisme face au spectacle affligeant de cette souffrance qui
conduit à l’impuissance, la paralysie ou l’erreur.
Si
l’on invoque souvent le déni chez la personne présentant une
problématique psychique, le refus de reconnaissance de la validité
de la douleur psychique de l’autre ne saurait et ne doit être
ignoré, on ne le sait malheureusement que trop bien dans les
violences intrafamiliales où la négation n’est autre qu’un
second trauma infligé renchérissant le premier dans une inflation
meurtrière.
Mais
tous les souffrants ne sont pas des victimes! Et toutes les victimes
n’expriment ni leur douleur ni leurs souffrance! Mais toutes
doivent être entendues
Il
y a de grandes souffrances tues comme dans le repli autistique, des
pathologies sortant de la zone de l’Agir et des douleurs qui n’ont
que la symptomatologie impressionnante de la conversion hystérique
pour « converser » avec le thérapeute.
Il
y a la plupart du temps une forme d’hystérisation qui survient
dans la théâtralisation, comme dans le silence pesant ou dans le
soulagement. Le curseur est flou dans les classifications.
Cela
doit être en permanence présent dans l’esprit du thérapeute qui
s’aventurerait dans une piste diagnostique, qui toute pertinente
puisse-t-elle être, énonce au « malade » une
interprétation qui a valeur de démenti pour lui ce qui avec toute
la prudence de mise dans cette expression, constitue une forme de
« violence du diagnostic ».
La
victime, qui dans les violences sexuelles
du
conjoint ou la terrible effraction chez les enfants de leur corps et
de leur psyché, dit souvent son amour du bourreau familial même
dans sa recherche de réparation.
Le
toxicomane,
aussi raconte sa joie de la convivialité communautaire avant et
pendant son récit de la souffrance de la descente et du manque. Il
compte aussi sa sensation de triomphe, son ressenti de
toute-puissance sous l’emprise du produit.
Il
nous « raconte » sans doute, comment cette
toute-puissance fait écho à une rapide régression à un stade
infantile du narcissisme primaire : il était « un »
avec l’ « objet ».quand il en a été séparé et
le clivage opéré, il a souffert ses premières douleurs, ses
premiers intermèdes entre la répétition du plaisir. Il a appris
par la douleur , la frustration et le manque, ébauche ses premiers
apprentissages du principe de réalité le principe de réalité.
Il
retrouve dans le plaisir et la souffrance de la toxicomanie,
l’affrontement de la vie et de la mort.
Si
le thérapeute « sait » qu’il reste humble, car son
propre déni de la validité des propos tenus par la personne
meurtrie(ou pas) doit éclairer sa propre réflexion analytique.
Cette
complexité de la douleur et de la souffrance psychique s’illustre
bien dans la profusion d’articles à ce sujet.
Son
rapport avec la réponse de l’empathie, vicariante ou non, donne
toute sa valeur à une dimension qui déborde largement son
soulagement par la thérapie et interroge sur le Sens que douleur et
empathie véhiculent.
Dressons
un tableau court des principales possibilités de les appréhender.
De
la douleur à la souffrance psychique :
Paul
Ricœur (1992) faisait déjà remarquer à travers le langage, que la
douleur et la souffrance n’ont pas la même dimension.
« J’ai
mal aux dents » et « Je suis souffrant », comme si
une avait une cause exogène, externe à durée limitée et subie
comme une sanction ; la souffrance évoque un état plus étalé
dans le temps de laquelle surgira un discours, une narration de la
plainte.
Cette
douleur , ainsi exprimée, nous est intelligible car elle est
localisée topographiquement, associée intuitivement à une lésion,
une maladie. Elle a au moins une cause, donc une chance de pouvoir la
« guérir ». A défaut de dialoguer, elle permet à
l’autre déjà de disserter.
La
souffrance se perçoit comme interne, difficile à localiser ou
simplement délocalisée, compliquée à exprimer.
Le
souffrant ne fait qu’Un, se confond avec sa souffrance qui envahit
toutes les facettes de son Être. Elle est donc intime, peu
partageable en dehors du cri ou de la plainte, difficile à
comprendre pour la personne, peu intelligible ou effrayante pour
l’aidant.
Sa
dimension « Psychique » évoque un trouble, peut-être
une pathologie. On ne la comprend toujours pas, mais l’écoutant
peut déjà mettre un premier nom, une maladie qu’il tentera
d’associer à un évènement, ou à l’environnement du plaintif,
si tant est qu’il le connaisse. Dans les deux cas, la frontière
est floue.
Sont
convoqués : notre compréhension, nos émotions, le degré de
sensibilité poussant ou non à agir.
Le
«guérir coûte que coûte » dans la toute-puissance peut très
bien s’exercer sans aucune empathie. Celui qui a mal, souffre
de « toute son âme» et le tribut à payer par l’autre est
lourd car il est sommé à la fois de comprendre et de soulager, avec
peu d’éléments.
La
psychiatrie ne conçoit la douleur psychique que comme morale au XIX
ème, tout en s’affranchissant des « vertus » punitives
ou de rédemption de la Religion (tradition doloriste)
Dans
ces différents aspects, Ricœur, dans une approche croisée
sémiologique et phénoménologique, renvoie à la clinique les
aspects »pratiques », considère que le distinguo
Douleur/souffrance comme déjà débattu, écarte les affects(Freud)
et définit deux axes orthogonaux :
-L’axe
du rapport à Soi et rapport à autrui :
Le
souffrant est replié dans un « Je » qui souffre,
Je
souffre donc que je suis.
C’est
un déficit de représentation du monde extérieur, effacé.
« Le
monde apparaît non plus comme habitable, mais comme dépeuplé. Le
Soi apparaît rejeté sur lui-même »
Dans
le rapport à autrui, le souffrant se place sur des curseurs
(degrés) :
- Il
est unique et seul à souffrir
-I l
est dans l’incommunicable, la barrière du souffrir le sépare du
monde
- Sa
blessure du Souffrir peut lui faire percevoir l’Autre comme ennemi.
- Une
« Malédiction » dans une vision fantasmée l’a « élu »
pour souffrir : « Pourquoi Moi, Pourquoi mon enfant »
On
remarque que dans ce 4 ème degré , c’est bien une « élection
à l’envers », une « réaction » contre le
Dolorisme religieux ancien qui n’assure ni rédemption ni mérite
de la part du Divin.
- L’axe
« Agir-Pâtir » :
- L’impuissance
à dire,
puisque la douleur agit dans le corps (Soi) tout entier
Ne
pouvant « Dire » seul est possible la Plainte
- L’impuissance
à Faire :l’écart
entre Vouloir et pouvoir .Le souffrant est à la merci de l’autre,
de son aide qui détient un pouvoir sur lui. L’exacerbation de sa
souffrance peut l’amener à se sentir victime, à haïr ou à se
victimiser.
Les
deux axes se croisent et le souffrant est dans l’impossibilité de
sa narration, à lui-même comme à l’autre.
Rien
de ce qu’il pourrait se raconter ou narrer ne lui permet de se
constituer une identité personnelle acceptable.
Il
y a donc de multiples ruptures, du temps, de la durée, de la
narration, du rapport à l’autre.
Est-on
dans la confusion mentale psychique ou dans un repliement plaintif,
injonction non négociable de la souffrance ou douleur psychique ?
Ce
sont à tous ces niveaux que l’interrogation thérapeutique doit
faire face !
Douleur
Psychique et deuil :
S’il
nous paraît assez naturel et spontané de pense au Deuil comme
exemple éclatant de la douleur et souffrance psychique ; c’est
ce paradigme chez Freud qui l’emporte comme réaction spécifique à
la perte d’objet.
Celle-ci
s’entend comme la perte d’un être, un amour, une situation
externe, ,un idéal ou une abstraction ; cet objet dont la
représentation est interne a disparu et il est impossible, pour le
moment de le réinvestir dans d’autres objets, représentations.
Ce
n’est pas tant la perte de l’objet dans le monde réel qui fait
qui cause cette souffrance intérieure, mais bien la perte de
« l’objet interne » que chacun avait construit autour
de l’objet réel. C’est « l’amputation du Moi » ,
tout comme le clivage psychique est à l’image d’une fissure
physique, une séparation, un démembrement.
Ce
désinvestissement hémorragique de l’extérieur, aboutit à une
contraction poignante, une douleur , inhibition car le « Manque »
est le surinvestissement épuisant , éreintant sur l’objet
disparu.
C’est
le deuil, comme réaction spécifique à la perte de l’objet qui va
devenir chez Freud le paradigme de la douleur psychique.
Le
travail de Deuil se fera par étape, en redistribuant, en
réinvestissant sur l’extérieur.
Tant
que la personne reste focalisée sur le disparu, la mélancolie
s’installe. Il faut noter que dans le Deuil, y compris symbolique
la
perte est réelle, objectivable, alors que dans les états dépressifs
du pathologique l’objet du deuil n’est soit pas connu soit
refoulé. La
douleur est bien là ; le Moi tente dans cette situation
difficile à se reconstituer.Il est en détresse car son intégrité
est atteinte.
Le
Moi se réduit à ce qu’il a perdu
Elle
est compliquée à raconter, se vit au présent ou dans un passé
ramené à l’actuel, ressassé, remémoré. Cette souffrance peut
aller jusqu’à la douleur globale où tous les éléments
Bio-Psycho-Sociaux et même spirituels sont convoqués.
L'angoisse est douleur et alimente la souffrance :
L’angoisse
comme affect signale le danger, sans que la perception de celui-ci
soit forcément claire. Elle est aussi, entre autres, une réaction
interne de la perte-séparation de l’objet. Ce conflit interne,
intrapsychique va nécessiter une mobilisation importante des
défenses, qui chez le névrotique est une forme de compromis, pour
amener à un point plus bas les tensions générées. Cette mise en
branle des défenses, peut être durable, se cristalliser et
s’enkyster ; seuls quelques symptômes signent la situation.
Je
ne développerai pas ici davantage le vécu traumatique où les
capacités de défense cèdent et se trouvent débordés, ne pouvant
faire face à une agression traumatique extérieure.
On
retrouve ici en clinique dans cette incapacité à exprimer ses
sentiments et émotions ( alexithymie) cette
« impuissance à dire » de la gradation de Paul Ricœur.
Seule
la plainte , sans mots ni récits, peut parfois s’exprimer à
condition toutefois que la souffrance ne soit pas paroxystique et en
jugule l’effort de la formuler. Mais là encore la
gradation n’est linéaire ni entière.
Devant
l’intensité de la souffrance psychique, l’Agir-parole bloqué
dans son expression et une tendance paranoïaque où l’autre devenu
tiers, et ressenti comme agresseur ; la confusion s’installe
et l’Agir dans le mouvement, agitation, gesticulations peut très
bien apparaître.
La dégradation de l’estime de Soi :
Être
dans le non-Agir, du parler, de l’acte, de la relation se mélange
avec la responsabilité d’une souffrance que l’on s’infligerait
à soi-même.
C’est
pour reprendre Ricœur , une
« impuissance à s’estimer soi-même ».
C’est
une atteinte à sa propre dimension éthique, la liberté d’opérer
des choix y compris celui de la souffrance…..
Finalement,
sans élaborer davantage sur les causes multiples de la souffrance
psychique, celle-ci s’installe lorsque nous n’avons pas ou plus
les moyens d’agir sur la douleur ni même de la fuir ; et tant
bien même que nous pourrions nous en échapper en fuyant vers le
monde extérieur, celui-ci est soit vide, dépeuplé ou ses quelques
habitants pourraient nous « anéantir » et en tout état
de cause, notre rapport à l’autre étant altéré ; il n’y
a plus de salut à espérer non plus.
C’est
sans doute cette troisième dimension de la menace que l’on trouve
chez Freud :
« La
troisième menace provient de nos rapports avec les autres êtres
humains[.] la souffrance issue de cette source nous est plus dure
peut-être que toute autre »
Cette
souffrance psychique dans le monde extérieur, dans ses dimensions
économiques, sociales, éducatives, environnementales ; ce
monde d’individualisme conjugue compétitivité et précarité,
recherche de sens et culture de l’Ego.
Il
ne peut intégrer en ses rangs, celui ou celle, dont les défenses
sont épuisées ; il ne peut tout au mieux, par souci de temps
et d’efficacité que tenter de le « soigner » ou le
laisser se marginaliser.
C’est
cette contradiction flagrante, qui est déstabilisante, une Société
d’abondance et de Pathos où la pathologie et son cortège de
souffrance est de mieux en mieux cernée ; tous les outils
perfectionnés sont là pour apaiser ; mais l’Homo-Pathologique
a bien du mal à s’y frayer un chemin.
La
douleur est ainsi soulagée mais la blessure psychique peut encore
perdurer mais c’est là sans doute que l’asymétrie avec la plaie
physique s’accentue.
Qui
peut affirmer, tant même que les étapes soient connues, que le
travail du Deuil est pleinement achevé ? Existe-t-il une norme
esthétique et éthique à sa « cicatrisation » ? Et
si oui, est-ce souhaitable ?
Peut-être
ne saurons-nous jamais répondre complétement à ce questionnement
millénaire :
Quel
est donc le sens de cette souffrance psychique dans toutes ses
composantes ? Sauf à postuler que c’est le non-sens de la
douleur qui rend à la souffrance, son essentialité. Mais l’Homme
par une perversion, sait donner un sens par le pouvoir de la douleur
qu’il inflige.
Comment
intervient l’empathie ?
Empathie
à la douleur
Il
faut donc admettre que malgré la pertinence et la multiplicité des
approches, en les croisant , en les agrégeant ou en les opposant ;
nous sommes toujours avec une pertinence plus ou moins approximée
contraints d’inférer notre compréhension de l’état de l’autre
et en l’occurrence de sa douleur psychique par une analyse
débordant largement les frontières et les chapelles.
Ma
connaissance ou perception de la douleur de l’autre, ne sera ni
meilleure, ni pire, ni plus acérée ni plus erronée que la sienne
propre. Notre relation à l’autre est ici asymétrique car ma
subjectivité n’est pas la sienne. Ce n’en fait en rien une forme
d’impossibilité d’empathie. Si l’empathie comme aptitude à
ressentir à la place de l’autre a souvent été présentée comme
naturelle, elle se cultive et s’apprend.
L’empathie
ainsi appréhendée serait tout d’abord ma capacité à entrevoir
le ressenti de la souffrance du pathos de l’autre, sans vouloir ni
pouvoir , souffrir à sa place sans céder à la compassion et ne pas
lui faire ressentir ce qui serait pitié pour moi et rabaissement ou
commisération.
N’oublions
pas que celui qui souffre est « coincé » dans sa
dépendance à l’aidant ; qu’il peut haïr dans une dérive
paranoïaque et le supplier de l’aider. Malgré ces difficultés ,
dans la relation d’aide, il faut aussi éviter la contagion
empathique pouvant conduire à une traumatisation secondaire ou que
les affects altèrent la qualité de l’aide.
La
psychologie sociale la considère comme source indispensable au
raisonnement moral et à un équilibre des comportements sociaux. Cet
aspect se conjugue assez bien avec la clinique de la souffrance
psychique, car la personne en souffrance psychique a un contenant
altéré ou défaillant.
Dans
cette situation, cela peut être par l’empathie que la relation à
l’autre ou au collectif, que l’environnement du groupe pourra
assurer l’existence d’un contenant et que celui-ci assure au
mieux ses fonctions.
Certaines
données neurophysiologiques récentes
indiqueraient
que
l’expérience
douloureuse d’autrui peut également être « incarnée » par
l’observateur sur un mode non seulement affectif mais aussi sen
sori-moteur .
La
vue et l’écoute, de postures et attitudes douloureuses
activeraient chez l’observateur les mêmes zones cérébrales. Cela
pourrait sous-entendre une forme de perception intuitive de la
douleur selon un processus de résonance émotionnelle automatique.
On parle donc de perception, d’une forme de sensibilité ou
sensibilisation à la douleur de l’autre. Le pas n’est pas
franchi pour évoquer encore une « compréhension », ni
de l’usage ou de l’apport que cette empathie susciterait dans le
soulagement de la douleur de l’autre.
On
évoque aussi cette empathie comme nécessaire à la cohésion
sociale, un reliquat de notre instinct de survie !
Il
y a peu de doutes que la précarisation et/ou l’exclusion sociale
soit un facteur actuel de souffrance. Mais réduire l’empathie à
un paramètre de régulation des équilibres sociaux et sociétaux
est insuffisant pour aborder la souffrance psychique. Le
ressenti-perception de la souffrance psychique d’une personne n’est
ni suffisant pour lui porter secours, ni ne garantit que dans le
cadre d’une pathologie, cette empathie empêche l’exclusion du
cercle social.
Au-delà
de la physiopathologie, des bases cérébrales de l’empathie ;
existe-t-il une dimension morale et non éthique de l’empathie ?
Même
si le vocable « morale » de la douleur en psychiatrie
peut prêter à interprétations ! En la définissant comme
innée, sa privation en ferait de celui qui en est dépourvu un
déficitaire et l’interprétation psychopathologique pointera vite
son nez. Est-il un individualiste, un égocentré, ou un apprenti
sociopathe ? Doit-on
le sommer d’apprendre l’empathie ?
Cela
sous-entend donc une esquisse d’obligation :
il
faut être empathique mais pas uniquement comme un miroir du ressenti
de l’autre, il nous faut aussi le comprendre et pouvoir agir, ce
qui ne peut se faire en ignorant les causes de sa souffrance, faute
de quoi l’empathique sincère ne saurait faire que de son mieux ;
à défaut de pouvoir comprendre il doit a minima témoigner de son
intérêt et faire preuve d’attention.
Le
chemin est vite glissant : suis-je là pour l’aider ou dans le
soulagement projectif de mon propre fardeau ? Dans ce dernier
cas, cet altruisme de superficie n’est ni un don, ni une aide pour
l’autre : il devient bien involontairement le legs de sa
propre détresse et enkyste le souffrant dans une douleur persistante
car ni il n’est compris ni aidé. Il voit alourdi son fardeau en
intériorisant en prime celui de l’aidant ou du proche.
Les
préceptes de la nécessaire cohésion sociale, ne doivent pas voiler
la nécessaire empathie de la relation d’aide en thérapie ni
occulter que l’écoute et le dialogue ont pour fonction de
décharger l’autre d’un premier fardeau. S’il en fallait une
preuve empirique, les exemples abondent.
Dans
les comorbidités des dépressions sévères qui transgressent les
barrières nosologiques des classifications, on retrouve souvent un
triste palmarès d’addictions, de désertion sociale, de tentations
suicidaires etc.. Si tant bien même
les
statistiques sont là, aucun indicateur précis ne mesure ou ne
prédit leur dimension malgré nombre de paradigmes expérimentaux.
Si
l’empathie dans la relation d’aide n’est qu’une modeste
tentative d’amorce d’aborder le dialogue et l’échange, et
permet au souffrant dans une première étape d’entamer un travail
ou un parcours de soins thérapeutique ; elle est acquise ou
innée, une obligation sine qua non.
Il
faut pour cela se garder de l’ériger en vertu morale, il faut la
sortir de la norme ou du dogme si nécessaire, pour aborder le sens
ou esquisser la compréhension de la douleur psychique dans chacune
de ses composantes.
Une
approche prudente serait peut-être en psychothérapie de cesser les
analogies entres douleurs physiques et psychiques, tant elles
semblent intrinsèquement liées.
Intéressons-nous
au contenu, tous les contenus, du discours du patient.
Douleur
psychique et souffrance en font intégralement partie, mais ils ne
sont pas les seuls éléments. C’est à ce prix-là, que le
souffrant qui parfois nous aliène aussi par ses troubles, ne sera
pas réduit à une seule dimension pathologique mais une personne
dont nous sommes distincts en restant empathique. C’est réinscrire
dans le regard à l’altérité, le droit à la différence.
Empathie
: la limite des neurones miroirs ?
Les
neurones miroirs sont devenus les idoles des neurosciences.
Depuis
plusieurs années, ils expliqueraient la majorité des mécanismes de
communication émotionnelle, de mimétisme, d’empathie , de
sympathie et de compassion chez l’homme et certains autres animaux…
Ces
neurones auraient donc la caractéristique de s’activer aussi bien
lorsque nous faisons quelque chose, que lorsque nous voyons quelqu’un
d’autre le faire.
On
pourrait ainsi expliquer l’empathie : si une personne en voit une
autre pleurer ou rire, ses neurones miroirs s’activent en voyant le
visage de son vis-à-vis, et ce seront les mêmes neurones qui
s’activeront lorsque cette personne rit ou pleure elle-même.
Elle
ressentirait alors par simple effet de miroir le fait de rire ou de
pleurer, tant bien même qu’aucune relation n’ait été amorcée.
Cette
automaticité interpelle :
elle
serait dépourvue déjà d’intentionnalité.
Son
sens aussi dans le cadre de l’empathie, sans intention
particulière, par exemple de l’aider, je suis dans un manifeste du
« pleurer » ou « Rire » : comment je le
comprends et comment le comprend l’autre.
Lui
suis-je utile, aidant, nuisible ou indifférent ?
Quel
contrôle puis-je donc exercer sur moi-même afin que mon empathie
prenne sens dans un effet désiré sur l’autre et correspondant à
son attente ?
Cette
théorie, semble présenter quelques failles.
Le
neuroscientifique Nicolas
Danziger (Hôpital
de la Pitié-Salpêtrière), a réalisé des expériences montrant
qu’il faudrait aussi, vraisemblablement, un intense effort mental
de représentation et d’imagination de « ce que l’autre ressent
», qui va bien au-delà qu’un simple mimétisme de réplique
automatique reposant sur les neurones miroirs.
Si
je perçois les pleurs d’autrui, suis-je certain qu’il souffre ?
Et si tel est le cas, suis-je en capacité de le ressentir ?
Selon
cette théorie fondée sur les neurones miroirs, le cerveau
reproduirait l’activité électrique liée à la douleur, si bien
qu’un observateur accéderait à l’expérience de son vis-à-vis
en ravivant des bribes d’expériences douloureuses du passé.
Mais
c’est ici dans ses expériences que N. Danziger a montré que des
personnes insensibles par constitution ou pathologie génétique à
la douleur parviennent très correctement à évaluer le degré de
souffrance d’autrui à partir de l’expression des visages.
Elles
ne peuvent de fait le faire, sans ressentir par « miroir »
elles-mêmes des sensations douloureuses puisqu’elles en sont
démunies et incapables.
L’explication-résumée-
de N. Danziger est que la capacité et l’intensité de l’empathie,
il
y a aurait une forme de « réflexion » sur la
signification des mimiques du visage de l’autre, un fonctionnement
complexe (liée à l’activité d’une aire cérébrale nommée
cortex cingulaire postérieur), un mixte d’abstraction et de
ressenti émotionnel.
Cela
indiquerait ainsi que la personne déficitaire de sensations de la
douleur, se construirait une forme déjà de représentation négative
dont le ressenti pourrait provenir par une symétrie à la douleur
morale, entendue ainsi comme une peine morale dans le registre ce
celles auxquelles elle est sensible.
La
personne puiserait ainsi par la voie cognitive soit leur propre
souvenir d’une douleur morale et non physique et élaboreraient par
un raisonnement abstrait une « compréhension » qui
prendrait valeur de « ressenti ».
Même
par cette double approche, l’empathie ne parait pas simple ni à
appréhender et encore moins à manier.
Nous
sommes à nouveau ramenés à notre point de départ, il nous faut
bien inférer pour appréhender subjectivement ce que l’autre
ressent en tant que douleur ou souffrance morale.
Franchir
le pas de l’empathie à la compassion, ne signifierait donc pas
automatiquement comprendre l’autre.
C’est
en cela, que le domaine de la compassion, toute méritoire et
respectable soit-elle s’inscrit ainsi dans un autre registre.
Dans
le domaine de l’aide , sans débattre car ce n’est pas mon sujet,
des approches s’y référant et complétés par d’autres concepts
tel l’interdépendance, ni la compréhension de la
douleur-souffrance ni le rôle de l’empathie ne peuvent être
présentés comme une évidence simple.
Cela
nous renvoie sans doute à une écoute ou observation
inconditionnelle de l’autre pour tenter de le comprendre en
admettant par là-même que je ne pourrai jamais ressentir
identiquement ou à intensité équivalente sa souffrance psychique.
Avant
de vouloir « deviner » l’autre , je dois en priorité
m’y intéresser attentivement…
C’est
là ou l’approche phénoménologique de P. Ricœur, recroise Freud
et le domaine psychiatrique :
«
Sur le terrain de ce qu’on appelait autrefois « les passions
de l’âme, cette zone intermédiaire où le Pathos voisine le
pathologique »
Pascal
Millet Médecin hospitalier, et professeur, Programme de formation
EPSSEL
Nicolas
Danziger, Hôpital de la Salpêtrière
Deuil
et mélancolie. S. Freud
Communication
de Paul Ricœur au colloque « psychiatrie dans la souffrance »
1992
Jean Michel Impératrice avril 2016.
|